Préserver la biodiversité dans les projets d’aménagement urbain et de construction
Près de 28% des espèces animales et végétales sont aujourd’hui menacées d’extinction sur la planète. Cela concerne une espèce de mammifères sur quatre, un oiseau sur sept, plus d’un amphibien sur trois, mais aussi un tiers des espèces de conifères.
Les scientifiques alertent sur un effondrement en cours de la biodiversité, certains évoquant même une « 6ème extinction de masse ». En cause notamment, la destruction et la fragmentation des habitats de ces espèces, la surexploitation des écosystèmes, le développement d’espèces invasives, le dérèglement climatique ou encore la pollution et l’eutrophisation (apport d’un excès de nutriments, comme l’azote et le phosphore, dans l’environnement). Nombre de ces facteurs trouvent leur origine dans les activités humaines dont l’influence est tellement forte et rapide que la biosphère n’est pas capable de s’y adapter.
Comment peut-on agir pour enrayer la tendance et éviter de franchir des seuils critiques ? Un point de vue concernant le secteur du BTP avec Pierre Lopez, Chargé de projets Construction durable chez Bouygues Bâtiment Nord-Est. Interview.
Du point de vue de la vie humaine, quels sont les enjeux de la préservation de la biodiversité ?
L’Homme dépend fondamentalement des services écosystémiques fournis par la biodiversité, et ce, pour des besoins aussi essentiels que manger, se soigner ou encore recycler les déchets organiques. Plus de 70% des cultures, soit 35% de ce que nous consommons, dépend d’une pollinisation animale, en particulier des insectes. Sans les abeilles, qui pollinisera nos fleurs, étape essentielle à la production de céréales, de fruits et de légumes ?
La biodiversité est aussi notre pharmacie ! Nos médicaments viennent, pour la plupart, de molécules issues des plantes ou des animaux. L’aspirine, par exemple, s’inspire d’une molécule de l’écorce de saule. Globalement, la biodiversité fournit en biens et en services près de deux fois la valeur de ce que produisent les humains chaque année. Elle est une condition sine qua non de notre bien-être.
Comprendre la véritable valeur de la biodiversité est un moteur pour agir et inverser le cours des choses. Comment agir à l’échelle de projets d’aménagement urbain, immobiliers ou de construction ?
À l’échelle de Bouygues Bâtiment Nord-Est, nous avons choisi d’adopter une approche « quantitative » : prendre en compte les enjeux de la biodiversité dans chaque projet bien sûr, mais surtout s’engager à mener une action en faveur de la biodiversité pour chacun d’entre eux. C’est une façon de faire prendre conscience que la préservation de la biodiversité est un impératif pour l’humanité, au même titre que la lutte contre le changement climatique. C’est aussi une façon de sensibiliser et de former les collaborateurs qui travaillent sur ces projets.
Pour aider les équipes, vous avez identifié plusieurs types d’action incontournables en tenant compte de l’impact positif sur la biodiversité, des aspects réglementaires et des expertises…
En tenant compte de ces critères, nous souhaitons approfondir 3 axes : la biodiversité sur le bâti, la limitation de l’artificialisation des sols et la protection des espèces protégées. A l’échelle du bâti, la biodiversité peut être favorisée par des toitures ou des façades végétalisées, mais aussi par la construction d’habitats.
Tout petit geste, s’il est bien pensé, peut contribuer. Sur le projet d’un bâtiment tertiaire certifié BREEAM, accompagnés d’un écologue, nous avions des engagements vis-à-vis de la biodiversité dont l’une des prescriptions concernait l’habitat des oiseaux, notamment les martinets noirs. L’équipe travaux s’est particulièrement saisie du sujet et a trouvé une solution simple et pragmatique face à la pénurie de nichoirs. Une réservation dans le voile béton, sur laquelle une tôle alu a été fixée et percée de trous de diamètres variables, a judicieusement remplacé les nichoirs du commerce. Une solution simple, intégrée au projet architectural et porteuse de sens pour les équipes.
À l’échelle d’un projet urbain, on cherchera à désimperméabiliser le plus possible en préservant des zones de pleine terre ou en intégrant des revêtements poreux, par exemple. Parfois en allant plus loin que le Coefficient de Biotope par surface (CBS) fixé par le Plan local d’Urbanisme (PLU), qui décrit la proportion des surfaces favorables à la biodiversité par rapport à la surface totale d’une parcelle. L’installation de stations de phyto-épuration, qui permettent le retraitement des eaux usées et pluviales grâce à l’action des plantes, est également une solution envisageable, mais elle doit s’accompagner d’actions de sensibilisation et être compatible avec le bien-être des futurs usagers.
En ce qui concerne les espèces protégées, l’idéal est de faire intervenir un écologue très en amont pour réaliser un diagnostic faune / flore.
A cela nous ajoutons une campagne de formation de nos collaborateurs sur le sujet, et partageons les bonnes pratiques de la profession.
En parallèle de ces actions, Bouygues Bâtiment Nord-Est expérimente également à travers des démarches ou de grands projets innovants. Prenons l’exemple du Biotope.
Siège de la Métropole Européenne de Lille, ce bâtiment labellisé Biodivercity comprend plus 3 000 m² de terrasses végétalisées. Au total, 150 arbres, 600 arbustes et 15 000 vivaces ont été plantés. Au-delà de la quantité impressionnante d’espaces verts en toiture, l’innovation tient également au cheminement suivi. Ecologues, pépiniéristes et paysagistes ont travaillé de concert pour identifier les espèces les plus adaptées à ce contexte très particulier. La réflexion a également pris en compte le bien-être des usagers, en travaillant sur la perception de ces espaces végétalisés par les cinq sens : bruissement des feuilles, couleurs des fleurs, odeur des aromates, espèces fruitières comestibles.
Ce type de projets nous permet de progresser sur ces sujets… et de les décliner ensuite à d’autres échelles. Dans le cadre du projet Quai 22 à Saint-André-lez-Lille, projet urbain de reconversion d’une ancienne friche industrielle, certains bâtiments de logements bénéficieront d’une toiture végétalisée issue de l’expérience hors normes du Biotope.